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La double-page, ou mihiraki, en manga se compose en réfléchissant à la fois au message à transmettre, à la position et à la lisibilité des cases. Pour réussir son découpage, il faut prendre en compte le sens de lecture et connaitre les emplacements stratégiques pour organiser les informations que vous allez montrer.

Attention à ne pas confondre la double-page composée par deux pages cote à cote et une double-page utilisée pour représenter une information unique. Ici, je vous propose de voir comment composer votre storyboard en travaillant vos pages toujours deux par deux, soit en double-page.

L’importance du storyboard en manga

Pour pouvoir concevoir votre double-page au sein de votre narration, vous devez avoir le scénario de votre histoire, ou au minimum, celui de la scène que vous souhaitez représenter.

Vous avez votre scénario ? Super ! Vous avez commencé à le prédécouper grâce à l’article Faire un découpage de planche dynamique écrit par Karine (partie 1 jusqu’à partie 2.1) ? Nickel. En ce qui me concerne, je vais vous aider en développant ici une partie de cet article : le découpage en planche.

Vous avez donc votre scénario, vous l’avez prédécoupé et vous êtes arrivés au moment où il faut faire ce fameux storyboard ou nemu.

On ne le dira jamais assez : ne négligez pas cette étape !

Le storyboard est crucial si vous ne souhaitez pas vous retrouver dans la délicate situation du jetage à la poubelle de planches toutes finies, toutes jolies mais bourrées d’erreurs… Car oui, c’est la dure réalité : sans réflexion en amont, il y a fort à parier que vos pages manqueront de cohérence, ou qu’elles imposeront un rythme particulièrement long et ennuyeux, ou encore qu’elles perdront vos lecteurs et qu’ils finiront par n’y plus rien comprendre.

Le storyboard, disais-je, représente vos tentatives, vos essais, vos expérimentations avant le grand plongeon. Il est à faire, mais surtout à refaire et à re-refaire, autant de fois que nécessaire, jusqu’à ce que vous aboutissiez à un résultat clair et bien rythmé.

Passons maintenant au cœur de notre sujet : comment composer un mihiraki ou double-page manga.

Le mihiraki, qu’est-ce que c’est ?

Vous l’avez sans doute remarqué, mais un livre quel qu’il soit se présente comme une succession de deux pages en vis-à-vis. Si cette particularité peut-être mineure lorsque l’on écrit un roman ou toute autre forme de récit textuel, elle est majeure en manga (et en BD de façon générale).

Et oui ! En tournant la page, vos yeux (ces petits chenapans) vont instinctivement balayer l’entièreté des deux pages avant d’être ramenés à la lecture par votre cerveau qui veut savoir ce qu’il se passe dans le détail.

Cela veut dire que pour vous, mangakas, vous devez faire en sorte de réfléchir vos pages non pas une par une, mais deux par deux !

C’est cela que l’on appelle le mihiraki : l’ensemble que représente deux pages en vis-à-vis. La double-page quoi !

Le rôle des pages en fonction du sens de lecture

Il est devenu habituel maintenant que les mangas lus en France le soient dans leur sens original, soit de droite à gauche. Je vais donc considérer ce point dans les informations à venir. Évidemment, en inversant tout ce que je vais vous expliquer, vous pourrez composer vos pages dans le sens de lecture occidental (soit de gauche à droite).

Ainsi, en sens japonais, les premières pages que découvrent les yeux de nos lecteurs sont systématiquement les pages gauches. Allez-y, faites le test. Prenez le manga qui traîne à proximité, ouvrez-le et tournez une page dans le sens de lecture : vous verrez obligatoirement la page de gauche avant celle de droite puisqu’il faut tourner la page complètement avant que la droite ne soit visible.

Pourtant, les événements de la page de droite se situent avant ceux de la page de gauche. Cela a pour effet que la page de gauche nous micro-spoile à chaque fois ! Si généralement on a envie de flinguer la personne qui nous a spoilé une histoire, on n’a pas le même ressenti pour cette page de gauche, et pour cause ! Elle ne fait que nous donner l’envie d’en savoir toujours plus.

Imaginez : Sur la double-page actuelle, un couple se dispute, le dialogue vous indique qu’il y a une vraie distance qui s’est installée entre les deux protagonistes. Vous êtes arrivés à la fin de cette double-page, vous commencez à la tourner et vous découvrez sur la page de gauche que le couple échange un baiser. « Mais comment cela se peut-il !?! » vous exclamerez-vous (parce que bien sûr, vous êtes déjà à fond dans l’historie et la dispute de ce couple vous a mis en tension).

C’est en lisant ce qui auparavant vous a été un peu caché, ce qui se trouve sur la page de droite que vous avez découvert en second, que vous avez les éléments vous permettant de comprendre comment le couple qui se disputait sur la double-page précédente, finit par s’embrasser sur celle-ci.

La page de gauche concerne la révélation, celle de droite l’explication.

Odan mihiraki0203
Extrait de « Odán » (scénette test) de Maylis

L’exemple ci-dessus est une scène d’ouverture (ici, pages 2 et 3). La page 1 nous montrait les deux protagonistes de la scène et le lieu où ils se trouvent (un village Nain). À la page 3 (à gauche), on comprend que leur destination n’est pas le village lui-même, mais le personnage du nom d’Utvek (case 2) et que celui-ci semble antipathique à l’égard de certaines gens. Une explication est donnée par la page 2, lorsque le personnage encapuchonné remarque la particularités des habitants du village (qui sont donc de race Naine).

Comme toute règle en art, il est possible d’y déroger, mais cela doit toujours être fait dans un but bien précis. Il ne doit jamais être question de ne pas respecter la règle juste pour ne pas respecter les règles car cela conduit très souvent à ce que l’œuvre ne soit simplement pas comprise par le lecteur.

Il est possible de révéler au public un élément important du scénario sur la page de droite (et non celle de gauche). Cette option est généralement utilisée dans le cas où l’auteur souhaite instaurer du suspense.

Par exemple, dans le cadre d’une enquête policière. L’enquêteur a réuni tous les protagonistes du crime afin de leur révéler l’identité du meurtrier. Si vous souhaitez créer du suspense, cette révélation n’aura pas lieu sur la page de gauche puisque l’œil du lecteur l’aura vue dès lors qu’il aura ouvert la double page. Au contraire, vous allez plutôt finir la page de gauche précédente par l’enquêteur commençant sa phrase («Il ne fait plus aucun doute que le meurtrier… ») et la terminant sur la page de droite suivante (« …n’est autre que vous, Mme Machin ! » dira-t-il en désignant la coupable du doigt).

Mais comme tout effet, utilisé à trop haute fréquence, il perd de son impact. Si l’on imaginait révéler systématiquement des éléments sur la page de droite, il n’y aurait plus de surprise pour le lecteur et l’histoire perdrait de sa saveur.

Placer les informations dans des emplacements stratégiques

Maintenant que nous connaissons le rôle que chaque page doit remplir, attardons-nous sur trois emplacements de cases spécifiques. Elles répondent aux doux noms de tsukami (A), mekuri (B) et kime-goma (C) et elles sont réparties comme suit.

Schéma de la double-page
Mihiraki – schéma explicatif

Tsukami : case d’ouverture

C’est la première case de la double-page et c’est une case d’ouverture. Elle est là pour :

  • soit introduire une nouvelle scène ;
  • soit faire le lien avec la double-page précédente pour que la lecture de la scène (qui s’étale sur plusieurs double-pages) soit fluide.
Extrait 10thACouperLeSouffle YuukoINARI
Extrait 1
« 10th, à couper le souffle »
de Yûko INARI
Extrait LaDanseDuSoleilEtDeLaLune DarumaMATSUURA
Extrait 2
« La Danse du soleil et de la Lune »
de Daruma MATSUURA

Dans l’extrait 1, le personnage le plus important dans la case tsukami est tourné vers la gauche, donc vers l’intérieur de la double-page. Renforcée par la diagonale qu’il forme avec l’autre personnage, l’invitation à la lecture dans le sens droite-gauche est clair et ne trompe pas.

Dans l’extrait 2, la case tsukami nous présente un homme vu de face. C’est une autre solution pour amorcer une double-page sans risquer d’aller contre le sens de lecture. La verticalité de la case compense l’absence apparente de ligne directive : en effet, le vertical induit un mouvement de haut en bas. Dans notre cas, le regard va suivre cette ligne verticale et rentrer dans le mihiraki (même si cette entrée est moins flagrante que pour celle de l’extrait 1).

Mekuri : case de clôture ou d’invitation à tourner la page

Vous l’avez peut-être déjà compris, la case mekuri est la dernière case de la double-page. Elle est à la fois case de clôture et case d’invitation à suivre. En effet, elle peut :

  • soit clôturer une scène (si celle-ci se termine là) ;
  • soit inviter à tourner la page (lorsque la scène se poursuit sur la double-page suivante).

En fonction du rôle que vous lui attribuerez, les éléments présents dans cette case ne seront pas orientés de la même manière .

Prenons les deux double-pages suivantes (disposées de droite à gauche, la première double-page est donc à droite) :

Extrait FourKnightsOfTheApocalypse NakabaSUZUKI 04
Fermeture de la scène
« Four Knights of the apocalypse »
de Nakaba SUZUKI
Extrait du tome 1, chapitre 1
Extrait FourKnightsOfTheApocalypse NakabaSUZUKI 03
Ouverture de la scène
« Four Knights of the apocalypse »
de Nakaba SUZUKI
Extrait du tome 1, chapitre 1

Dans cette scène représentée en quatre pages, on peut observer les deux types de mekuri.

Observons la dernière case de la double-page d’ouverture : le personnage y est représenté en petit, tourné vers la gauche, positionné résolument à droite de la case. Devant lui, l’immensité de la mer de nuages et ses pensées qui créent un fil en diagonale vers le coin gauche de la page.

mihiraki exemple 1

Tout est ici fait pour « ouvrir » vers la suite, dans tous les sens du terme. Le personnage est positionné à droite, le dos tourné à ce qui le retient, l’esprit tourné vers ses rêves et aspirations, en direction de ce qu’il va y avoir à lire. L’espace grandiose autour de lui et majoritairement à gauche de la case appelle également à la suite.

Enfin, la diagonale constituée par les bulles n’est rien d’autre qu’une ligne directrice que vos yeux suivent jusqu’à atteindre le coin et à tourner la page.

Passons maintenant à la dernière case de la double-page de clôture : simple, elle ne représente que le dialogue sur le fond d’un ciel étoilé.

mihiraki exemple 2

Dans un film, la caméra se serait progressivement éloignée du personnage (représenté dans les deux cases précédentes) jusqu’à se tourner vers le ciel, le dialogue du personnage accompagnant ce mouvement de caméra. S’éloigner du personnage jusqu’à ne montrer que le décors est un mécanisme cinématographique fréquent de changement de scène.

C’est exactement le même procédé ici : le changement d’angle de vue associé au changement de sujet montré (du personnage au ciel), annonce la fin de la scène. Il ne nous reste plus qu’à tourner la page pour savoir où nous emmène l’auteur ensuite.

Bien évidemment, il ne s’agit-là que d’un exemple sur des milliers. Et il n’est pas nécessaire de systématiquement clôturer une scène sur un décor. D’ailleurs, il est aussi fréquent de trouver une clôture sur un personnage. Dans ce cas, il est souvent représenté tourné vers la droite, vers l’intérieur du mihiraki, comme pour vous renvoyer vers la scène que vous venez de lire.

La case mekuri peut aussi servir à créer un suspense en amenant des informations incomplètes ou des questions sans réponses (cliffhanger) qui obligent le lecteur à tourner la page et lire la suite.

Pour ces clôtures de scène, je ne peux que vous inviter à observer attentivement les mangas que vous lisez, mais aussi les films / animes / séries que vous regardez, qui seront d’une grande aide sur ce point.

Kime-goma : case de révélation

Bien ! Nous avons le début de notre mihiraki (tsukami) et nous avons la fin (mekuri). Il nous reste encore un point clé à déterminer avant de pouvoir composer complètement notre double-page : la kime-goma.

mihiraki schema2 scaled

Il s’agit de la case la plus importante de la double-page, celle qui se trouve être la plus grande des cases. Mais attention, elle ne contient pas n’importe quoi ! Dessiner une case plus grande que les autres, c’est dire à votre lecteur « ça c’est important ! ».

Alors si vous décidez de représenter la boulangerie dans laquelle se rend votre personnage principal dans une grande case et qu’il n’y retourne plus jamais dans la suite de votre histoire, il restera toujours un petit doute dans l’esprit de votre lecteur  (« Mais ? Et cette boulangerie alors ? Elle avait pourtant l’air important… »).

Généralement, dans cette case, on y représente l’élément qui va permettre à l’histoire d’avancer. Et généralement encore, cette case est positionnée dans la zone en haut à gauche de votre double-page (zone hachurée). Bien entendu, cette case peut prendre plusieurs formes ; elle ne collera donc pas parfaitement à la zone hachurée. Et elle ne sera pas non plus nécessairement la case qui sera dans le coin haut-gauche de votre double-page.

En bref, la kime-goma est une grande case contenant un élément de révélation (on est sur la page révélation en même temps…!) située en haut de la page gauche.

mihiraki exemple 3
Extrait de « Le Carnet du Botaniste »
Maylis

Dans cet extrait, la kime-goma est la case encadrée en bleu. Les protagonistes ont tous deux des particularités liées aux couleurs : elle, repousse toutes les couleurs, lui, les absorbe toutes. Il est à la recherche d’une solution pour se débarrasser de cette particularité qui lui pourrit la vie et se demande si elle ne serait pas la solution.

L’objectif ici est de donner une information supplémentaire pour faire avancer l’histoire : en effet, il est facile de penser comme lui qu’elle peut le débarrasser de toutes ses couleurs en le touchant, mais la kime-goma nous révèle une interdiction que l’on ne connaissait pas auparavant. Comment va-t-il faire alors ? La suite nous le dira peut-être !

Ce qu’il y a de formidable avec la kime-goma, c’est qu’elle peut prendre plusieurs formes et prendre beaucoup de place, pour des effets encore plus percutants.

Extrait Vagabond TakehikoINOUE
Extrait de « Vagabond » de Takehiko INOUE
Extrait OnePunchMan YusukeMURATA01
Extrait de « One Punch-Man » de ONE & Yusuke MURATA

Ces grandes cases sont généralement réservés à des moments majeurs de l’histoire, pour que le lecteur s’en prenne littéralement plein la vue, mais aussi pour qu’il ressente de façon intense l’importance de ce moment, l’impact qu’il peut avoir sur le personnage lui-même ou sur le déroulement de l’histoire.

(Je ne remercierai jamais assez Inoue-sensei et Murata-sensei pour ces œuvres magnifiques T_T)

La kime-goma peut aussi prendre carrément les deux pages. Oui, oui. Vous l’avez certainement déjà vu d’ailleurs. Ce sera elle et elle seule qui peut s’octroyer cette place. Les cases tsukami et mekuri ne sont pas aussi importantes que la kime-goma.

Extrait Naruto MasashiKishimoto
Extrait de « Naruto » de Masashi KISHIMOTO

Les cases au service de la narration

Bon, il y a une petite subtilité avec la kime-goma qui peut parfois la rendre insaisissable… Et il est important de montrer d’autres possibilités avec ce type de case.

Si vous avez été attentifs, la kime-goma ne se trouve pas systématiquement en haut à gauche de la double-page. Et non ! Sinon, ce serait trop simple et ça ne serait pas drôle !

Au début de mes explications sur la kime-goma, je vous ai dit qu’il s’agissait de la case la plus grande – et ça, c’est toujours vrai.

Mais si vous re-regardez l’extrait de « 10th, à couper le souffle » et de « Four Knights of the Apocalypse », vous constaterez que les cases les plus grandes ne sont pas situées en haut à gauche.

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  • 10th, à couper le souffle : la kime-goma est la case tsukami (la première de la double-page).
  • Four Knights of the apocalypse :
    • ouverture : la kime-goma est la case mekuri (la dernière)
    • clôture : là encore, la kime-goma est la case tsukami (la première de la double-page).
mihiraki exemple 4
mihiraki exemple 6

De façon générale, la kime-goma occupe forcément un des trois emplacements clé de la double-page.

Cela ne doit rien enlever au fait que l’emplacement en haut à gauche de la double-page soit réservé à un élément important permettant l’avancement de l’histoire. Ce n’est pas parce que la plus grande des cases ne se trouve pas à cet endroit que cette fonction disparaît.

Conclusion

Il est possible que vous trouviez des exceptions à tout ce que je viens de vous expliquer (l’artiste qui rompt la règle par exemple). C’est d’ailleurs même très probable. Cependant, si vous conservez en tête les fonctions de bases de chaque case et emplacement, vous ne devriez pas trop vous égarer.

mihiraki bilan 1 scaled
Mihiraki – bilan

N’oubliez pas qu’un storyboard est fait pour être refait : le premier jet n’est jamais le bon alors ne vous découragez pas. Faites plusieurs essais et voyez quelle configuration est la plus adaptée. Trouvez ainsi la meilleure façon de raconter chaque scène !

Il y a encore beaucoup de choses à dire au sujet de la composition des planches de manga. Dans un prochain article, je parlerai de la composition des pages et du sens de lecture, ce qui finira de compléter ce que vous venez de lire au sujet du mihiraki.

Si vous souhaitez en savoir plus sur mon travail, je vous invite à suivre ces liens :

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