Si vous avez suivi notre dossier sur le dessin en perspective vous avez pu apprendre beaucoup sur la perspective, les proportions, la lumière, l’intégration de vos personnages à la perspective, et pourtant, vous vous dites qu’il manque encore un petit quelque chose à vos décors. Vous avez beau faire, ils vous semblent encore vides et fades. Et là, vous pouvez avoir l’impression que vous n’arriverez jamais à être vraiment satisfaits…
Pourtant, ce n’est pas le moment de vous décourager : vous y êtes presque ! Si vous maîtrisez les techniques que je vous ai décrites, vous avez les outils qu’il vous faut pour créer des décors justes. Ce qu’il vous manque, la cerise sur le gâteau qui rendra vos décors marquants, c’est de leur insuffler de la vie, donner l’impression qu’ils sont habités, et surtout, uniques.
Et ça tombe bien, donner vie aux décors, c’est exactement le sujet de l’article d’aujourd’hui !
Pourquoi vous avez intérêt à vous inspirer de la réalité ?
Dans l’article précédent, je vous conseillais (entre autres) de faire du dessin d’après nature quand vous en avez l’occasion, et je le répéterai encore et encore : cela vous permettra de progresser techniquement, bien sûr, mais aussi d’enrichir vos designs décors de différentes manières.
Éviter les archétypes
Un archétype, c’est « une forme de représentation donnée à priori ». Vous avez peut-être entendu parler des archétypes de personnages (le anti-héros ténébreux, la femme fatale, etc.) mais en réalité, ils se cachent partout, dans tout ce que vous imaginez et dessinez par défaut. Certains sont communs à beaucoup de monde (comme l’uniforme marin pour une lycéenne japonaise), d’autres sont plus personnels.
Par exemple, si on vous demande de dessiner « un chien » sans préciser et sans vous laisser le temps de faire des recherches, vous aurez sans doute le réflexe de dessiner une race en particulier (par exemple, celle de votre chien ou de celui de vos grands-parents). Ce réflexe, c’est votre propre « archétype », qui fait que vous avez une idée « par défaut » pour toutes sortes de choses.
C’est vrai pour les animaux, pour les personnages, mais aussi pour les portes d’immeubles, les poignées de portes, les lampes… Le cerveau est paresseux, s’il trouve une solution qui marche, il va avoir tendance à la répéter encore et encore sans se remettre en question.
Cette répétition, c’est le premier obstacle pour donner vie aux décors, qui risquent vite de devenir des copies d’eux-mêmes et de se répéter à l’infini… et c’est encore plus vrai si vous vous basez sur des décors de mangas ou BD, qui ont déjà créé leurs propres archétypes !
Heureusement, la solution est plutôt simple : il suffit de fouiller dans la réalité pour insuffler de la variété à vos dessins de décor. Cette réalité est incroyablement riche ! En faisant des recherches d’images et des dessins dans la rue, vous constituerez une bibliothèque d’images dans laquelle vous pourrez piocher directement, faire du collage ou redessiner quelque chose dont vous aurez eu l’idée en voyant toutes ces possibilités. Vous ne dessinerez plus « un arbre » mais un marronnier, un sapin, un saule, etc…
Voici quelques endroits où vous pouvez trouver l’inspiration pour avoir plus de variété dans vos dessins de décors :
- Les lieux ou vous passez : chez vous ou vos proches, votre école, la rue, la station de métro…
- Google MAPS ou Google IMAGES, qui vous permettra de trouver des photos d’absolument tout et n’importe quoi.
- Pinterest, qui permet de s’organiser en tableaux et propose d’autres images dans le même esprit que celles sur lesquelles on vient de cliquer… un bon moyen de chercher de « proche en proche » jusqu’à trouver l’inspiration qui fait « tilt » !
- Les livres en bibliothèque, sur l’architecture, la mode, telle ou telle ville… Si vous habitez à Paris, la bibliothèque Forney (accessible gratuitement en se faisant une carte) contient un fond de livres spécialisés sur les métiers d’arts qui pourra être une aide précieuse à vos projets de fiction historique.
- Les BD, films et séries que vous aimez. Vous êtes fans des décors de Batman ? Faites des impression d’écran pour pouvoir les épingler à votre bureau, ou encore mieux, offrez-vous les artbooks où vous pourrez souvent découvrir leurs recherches et plein de détails supplémentaires. Mélangez cette inspiration à d’autres sources pour construire votre propre univers.
- Voyagez de nom en nom : vous aimez une photo de château ? Cherchez comment il s’appelle pour en trouver d’autres angles de vue. Regardez les noms d’architectes, de designers, de jardiniers pour découvrir autre chose que « la création la plus connue de cette personne », qui est une autre forme d’archétype.
Plus vous piocherez un peu partout, plus vous approfondirez, plus vous pourrez avoir une bibliothèque d’inspiration riche et variée. Ne vous contentez pas de recopier ce qui existe déjà : fouillez, comparez, mélangez, inventez ! Votre univers et vos décors n’en seront que plus riches.
Avoir le détail qui « tape juste »
L’architecture, c’est compliqué, et nous sommes incapable de fabriquer la plupart des objets qui nous entourent, ni même de les comprendre… alors ce serait un peu prétentieux de penser pouvoir les dessiner de mémoire sans faire d’erreur ! (Surtout, si, comme moi, vous êtes obligés de vérifier à chaque fois de quel côté est la raie de votre personnage principal au moment de le dessiner.)
Aller chercher une référence photo sur internet vous donne peut-être l’impression d’être « nul », de « tricher », mais il est temps de vous défaire de ce discours négatif !
Si vous ne connaissez pas une date historique, vous allez l’apprendre, pas essayer de la deviner jusqu’à tomber juste. De la même manière, si vous n’avez jamais dessiné un objet ou un élément de décor, n’ayez pas honte d’aller voir à quoi ça ressemble « concrètement ». Vous n’êtes pas magicien, il n’y a pas de raison que vous soyez capables de le dessiner correctement de mémoire sans avoir pris le temps d’étudier l’objet ou le décor en question.
En ayant des références, vous aurez un modèle qui vous permettra d’avoir les bonnes proportions, de voir comment il s’inscrit en perspective, de ne pas oublier de détails ou faire des incohérences. C’est particulièrement utile si vous avez un style de dessin réaliste et que vous dessinez une BD qui se passe dans notre monde. Les gens reconnaitront des objets dans le détails, ce qui le rendra plus réel dans leur esprit.
Anecdote : Un jour, j’ai fait le croquis d’un personnage accoudé au volant de sa voiture un jour de pluie… et un ami m’a fait remarquer en riant que je n’avais pas dessiné d’essuie-glace. Ça ne serait pas arrivé si j’avais pris le temps de prendre une image de référence !
Ne sous-estimez pas la diversité de ce qui existe déjà
Si vous travaillez sur un projet d’héroïc fantasy ou un univers futuriste, vous pouvez avoir l’impression que vous inspirer de l’existant n’est pas si utile que ça, parce que vous voulez créer du « jamais vu »… Au contraire, vous avez plus que jamais intérêt à étudier un peu ce qui a déjà été fait ! Encore une fois, vous n’êtes pas architecte : ce n’est pas parce que vous n’avez jamais vu quelque chose que ça n’a jamais été fait !
Tout comme la faune et la flore, l’architecture est pleine de variété à travers le monde, selon les cultures, les contraintes de lieux, etc.. En vous cultivant sur le sujet, vous découvrirez plein de choses que vous n’auriez jamais imaginées. Explorez et régalez-vous !
Encore mieux, si vous creusez derrière ces images qui vous font voyager, vous pourrez découvrir d’autres manières de penser et de construire. Réfléchir à ce genre de détails peut vous aider à donner vie aux décors à travers un univers de fiction plus concret et cohérent. Par exemple, en France, quand on visite un monument historique, cela peut souvent être des châteaux forts en ruines… Alors qu’au Japon, avec leurs bâtiments en bois et leurs nombreux séismes, il est naturel de restaurer un bâtiment au fur et à mesure… même si, au fil des siècles, il ne reste plus une poutre d’origine !
Comment utiliser ces références ?
Utiliser des références est différent de recopier ! Une fois que vous avez les informations dont vous avez besoin, vous pouvez recomposer en mélangeant plusieurs images, choisir un autre angle de vue, utiliser un seul détail de l’image, comme la forme de la fenêtre, le dessin des moulures etc… tout dépend de ce dont vous avez besoin pour votre dessin de décor !
Si votre but est de designer un décor qui vous servira plusieurs fois, je ne peux que vous conseiller de commencer par faire un moodboard (voir l’article faire un moodboard de Karine) pour rassembler vos sources d’inspiration.
Cela peut aussi bien être reprendre le plan au sol, la forme des fenêtres ou du plafond, que le design des chandeliers ou les motifs des lambris, ou encore les couleurs et la lumière. En cherchant différentes images, vous allez pouvoir avoir des pistes concrètes pour votre dessin de décor que cette image floue à l’ambiance insaisissable que vous avez dans votre esprit. N’hésitez pas à intégrer vos propres idées, à tester jusqu’à ce que vous trouviez quelque chose qui vous plait pour vos dessins de décor.
De la même manière que vous allez être de plus en plus à l’aise en anatomie à force de faire du modèle vivant, cette bibliothèque d’images va progressivement déménager dans votre tête, et une fois que vous aurez dessiné et redessiné certains éléments, vous les connaitrez par cœur les lieux que vous avez choisis ou inventés et n’aurez plus besoin de références à chaque fois. Donner vie aux décors et jouer sur la variété sera de plus en plus facile.
Donner vie aux décors en investissant les lieux
Vous avez fait des moodboards, vous faites des croquis d’après photo, mais vous avez l’impression d’être incapable de choisir dans l’infini des possibles, vous ne savez pas par où commencer ? Peut-être qu’il est temps de passer à une autre étape . Ici, je vous propose deux autres pistes pour donner vie aux décors :
- S’inspirer de la réalité d’une autre manière, qui fera moins fonctionner vos yeux et davantage vos méninges.
- Traiter le décor comme un personnage, avec sa personnalité et son histoire
Ces deux astuces ont peut-être l’air de rien, mais elles ont révolutionné ma manière d’aborder le dessin de décor !
Écrire une description du décor
Passer par l’étape « écrite » semble contre-intuitif pour du dessin de décor, mais ça peut peut vraiment vous aider à le construire. Cela permet d’activer une autre manière de penser qui complète très bien les moodboards, plans, etc. Il n’est pas rare que je décrive longuement un décor avant de le dessiner, alors n’hésitez pas à prendre des notes pour jeter vos idées. Un peu comme avec la méthode flocon, cela permet de décomposer les étapes et de ne pas se sentir débordés par l’ampleur de la tâche !
Penser son décor de manière fonctionnelle
Une mairie ne sera pas conçue de la même manière qu’une bibliothèque ou qu’un appartement. Cela vous parait peut-être évident comme ça, mais la fonction d’un bâtiment est la première chose qui conditionne sa construction et crée de la variété. Voici donc quelques questions que vous pouvez vous poser pour vous aider à caractériser votre décor :
- Dans quel univers & à quelle époque êtes-vous ? Vous n’allez pas imaginer de la même manière une cabane de paysan du moyen-âge, un château du XVIIIe ou un appartement moderne.
- Pour quel usage le lieu a-t-il été construit ? Est-ce une habitation, un lieu de travail, de réunion, de vente… ?
- De quelles pièces et équipements ont besoin les personnes qui vont utiliser les bâtiments ? Par exemple, dans un appartement, vous aurez besoin au minimum d’une pièce d’eau et de toilettes, d’une cuisine et d’un endroit où dormir. Vous pouvez aussi penser au aux objets qui seront utilisés (bureau, forge, matériel de dessin ou de cuisine…) N’hésitez pas à les lister pour ne pas en oublier !
- Est-ce que les fabricants étaient limités du point de vue matériel (budget, matières premières, etc.) ou pratique ? (besoin de grandes fenêtres, climat difficile, ville en bord de mer qui ne peut pas s’étendre dans toutes les directions, falaise, rivière, etc.)
- Est-ce que le décor a été pensé pour être purement fonctionnel, ou est-ce qu’il devait porter une symbolique, un message ? (Les églises et temples sont des lieux de culte qui voudront impressionner et inciter au recueillement, pendant que le château de Chambord est une prouesse architecturale qui sert de symbole de la puissance du roi.)
Réfléchir au but et à l’usage de votre décor vous aidera à créer de la variété, à le rendre plus concret et à éviter l’effet « boite vide ». Vous allez pouvoir donner vie aux décors en ajoutant des éléments ou des particularités qui sont évidents une fois qu’on prend le temps de se demander de quoi on aurait besoin si on vivait ou travaillait dedans.
Faire un plan au sol
Commencer par faire un plan des lieux ou lister ses fonctionnalités vous permet de réfléchir à la composition du décor et l’emplacement des éléments sans vous confronter à la perspective. Encore plus utile en BD, où vous aurez différent angles de vue d’un seul lieu.
Quelle est l’histoire de votre décor ?
Vous connaissez sans doute l’expression « un lieu rempli d’histoire » ? Cette expression peut vous paraître un peu clichée, mais il y a souvent dans les lieux qui rendent une ambiance un peu spéciale, parce qu’ils ont des particularités ou un passé qui les rendent uniques.
J’ai grandi dans une grande maison de campagne construite au début du 19e siècle : ce qui était devenu les toilettes avait servi de cellule de prison et il restait des graffitis visibles sur une partie du mur. On a même retrouvé une balle en changeant un chambranle de porte ! J’ai souvent tenté d’imaginer ce qui avait pu se passer avant que j’y habite…
Pour donner vie aux décors, je vous invite donc (tout particulièrement si vous créez des univers imaginaires) à vous représenter ce qu’il s’est passé dans les lieux avant que les personnages et lecteurs les découvrent :
- Est-ce que le bâtiment est récent ou ancien ?
- Est-ce qu’il a été détérioré, reconstruit, réaménagé, agrandi ?
- En quoi peut-il être identique (ou différent) des décors qui l’entourent (un moyen de jouer sur la variété) ?
- Est-ce qu’il reste des traces des précédents occupants ? Est-ce qu’il s’est passé des événements marquants ?
- Est-ce qu’il continue à être utilisé dans le même but qu’à sa création, ou est-ce qu’il a été détourné depuis ? (par exemple, il existe des églises abandonnées qui ont été transformées en… restaurants !)
- Est-ce que le décor peut jouer un rôle narratif ? (par exemple, un lieu dont il faut découvrir une pièce secrète, percer le mystère, etc.)
- Est-ce que le décor va évoluer au cours de l’histoire ? (être rénové, détruit, avoir son apparence transformée par la météo, etc.)
Vous pouvez vous poser beaucoup d’autres questions si vous pensez tenir une réponse intéressante. L’idée est de ne plus considérer le décor comme une « toile peinte » derrière vos personnages, mais comme un personnage lui-même, avec son histoire, et… son caractère !
Quelle est la personnalité de votre décor ?
Si vous traitez votre décor comme un personnage, vous pouvez commencer à vous demander quel est son caractère, l’impression qu’il dégage. Si c’était une personne, quelle serait son apparence ? Sa manière de parler ? Personnifier un décor peut être un moyen de réfléchir à l’émotion qu’on voudrait provoquer.
Dans ce travail de personnification (qui n’est pas forcément une copie carbone de vos personnages, votre décor peut avoir un statut et un caractère propre) vous pouvez choisir des formes (anguleuses ou rondes ?) des couleurs, des textures et motifs qui correspondent à ce que doit « raconter » le décor. Un autre moyen de créer de la variété.
Pour donner vie à votre décor, vous pouvez aussi le peupler de détails qui véhiculent cette idée : la ville est misérable et sale ? Vous pouvez y mettre des poubelles renversées, des vitres cassées, des tags, des affiches arrachées, des mares entre les pavés descellés, des rats se faufilant le long des murs… Réfléchissez à tout ce qui peut être associé à l’ambiance que vous chercher.
Le reflet des habitants
J’ai passé une partie de mes études à vivre dans un foyer. Toutes les chambres étaient construites de la même manière, à peu de chose près… et pourtant, derrière chaque porte se trouvaient plein de variétés de chambre : tantôt ordonnées, tantôt chaotiques, tantôt sobres, tantôt prêtes à exploser, remplies du sol au plafond d’étagères… Bref, c’est l’exemple parfait pour dire que l’architecture d’un lieu ne fait pas tout !
Quand vous arrivez chez quelqu’un, vous ne pouvez pas vous empêcher d’explorer les yeux du regard, plus ou moins discrètement. Vous allez voir les meubles (ah, il est team kallax), la déco (tiens, il a des figurines Mario), la couleur des rideaux ou leur absence, le désordre s’il y en a. Si vous vous retrouvez seul, vous allez sans doute tuer le temps en regardant la bibliothèque ou les DVDs qui trainent.
Même si vous étiez chez quelqu’un que vous ne connaissez pas et à qui vous avez à peine parlé, vous repartirez avec énormément d’information à leur sujet, juste en observant leur lieu de vie ou de travail. (Vous vous souvenez de notre article sur nos ateliers de dessin respectifs ?)
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle certaines personnes vont beaucoup hésiter à laisser des inconnus entrer chez eux : leur domicile est pour eux un lieu trop personnel pour être partagé.
Montrer le lieu de vie de vos personnages, c’est un moyen de dire beaucoup sur eux… sans le dire, justement. Au lieu de faire dire au personnage « J’adore jouer aux jeux vidéos ! » vous pouvez dessiner dans la chambre de votre personnage une chaise de gamer, des jeux vidéos et des figurine autour de lui. Il peut avoir une passion pour les puzzles, les peluches de chouettes ou les maquettes, que vous n’aurez pas besoin de caser dans un dialogue. Le dessin de décor peut alors être un moyen d’informer le lecteur des secrets du personnage, de ce qu’il ne dira jamais à ses collègues mais qui le caractérise.
Concrètement, un simple appartement ne sera jamais « un simple appartement ». Il sera un moyen de montrer :
- les niveaux (ou choix) de vie des personnages
- leur hygiène de vie, selon que les lieux soient plus ou moins sains et ordonnés
- leurs goûts et centres d’intérêts, les choses pour lesquels ils sont prêts à dépenser de l’argent… ou pas
- les gens ou les choses qui les retiennent (leur famille, leur héritage à travers des objets particuliers…)
- et beaucoup d’autres choses encore !
Plus vous prenez le temps d’imaginer que ce lieu est réel et comment on y vit, plus ça sera facile pour vous de donner de la vie et de la variété aux décors que vous imaginez.
Dans le cas d’un monde imaginaire, c’est le moment d’être exotiques, créatifs : à quoi ressemble leur déco ? Avec quoi se nourrissent-ils ? Quels genres d’outils utilisent-ils pour cuisiner ? Font-ils des travaux manuels ? Vivent-ils dans une sorte de yourte qu’ils peuvent démonter au fil de leur voyage ? Ont-ils au contraire des ordinateurs super-modernes qui allument les lumières et réchauffent le repas dès qu’ils passent la porte ? Donner vie aux décors, ça passe aussi par inventer plein de petits détails qui enrichiront l’univers et le rendront à part.
De la même manière, pensez bien que le décor est habité : un personnage n’aura pas toujours eu le temps de débarrasser la table après son repas (surtout s’il vit toutes sortes d’aventures !), une rue pourra être bordée de façades de magasins, certains balcons fleuris, un vélo être accroché à un arbre le temps d’une course. Glisser quelques figurants ou un élément de ce genre peut suffire à donner vie aux décors.
Cette étape du dessin de décor peut demander beaucoup de temps, mais c’est aussi celle que je trouve la plus variée et agréable : on sort de la technicité du dessin en perspective pour laisser libre court à son imagination et partir à la découverte de son univers et de ses personnages… Quel plaisir !
Utiliser le décor pour appuyer la narration
Le conseil vaut aussi bien pour la BD que pour l’illustration. Plus votre décor a un rôle dans l’histoire, plus il aura du caractère : pensez à Gotham city, à la forêt dans Blanche-neige, au petit dinosaure… Il n’est pas rare que les lieux soient eux-mêmes des antagonistes des personnages, qui se mettent en travers de leur chemin et les menacent.
Vos décors peuvent être « actifs » dans le récit (c’est particulièrement vrai dans les jeux vidéos), en évoluant au cours de l’histoire, en étant une épreuve à surmonter, un mystère à résoudre ou un objectif à atteindre… mais toutes les histoires ne se prêtent pas à des énigmes et des escaliers dérobés. Heureusement, leur rôle peut aussi être bien plus discret.
Par exemple, un personnage en pleine dépression a des chances de vivre en robe de chambre dans un appartement aux volets fermés, avec une pile de linge sale qui déborde, des cartons de pizza et des bières vides qui trainent par terre… et il fera sans doute un grand coup de ménage quand il se sentira mieux !
Cet exemple s’ancre dans l’histoire, mais si votre dessin de décor est là en toile de fond et ne joue aucun rôle particulier, vous pouvez aussi le designer pour appuyer l’idée de la scène qui se déroule en jouant sur des symboles :
Deux personnages discutent en se promenant en ville, et l’un se confie sur le chaos qui règne dans sa tête… pourquoi ne pas le faire passer près d’une gare, avec ses voies de triage et ses poteaux encombrés de fils ? Cela peut faire écho à son état mental. C’est une autre sorte d’approche « fonctionnelle » : avant, le jeu était d’imaginer comment les personnages utilisaient le lieu, il s’agit cette fois de voir comment vous, vous pouvez l’exploiter à votre avantage en tant qu’auteur.
Vous pouvez utiliser le dessin de décor pour accentuer une émotion ou une idée en jouant sur :
- les éléments représentés
- les cadrages et la composition
- les effets de contraste
- les effets de perspective
- les choix de couleurs
- le niveau de détail
- les éléments symboliques
- etc.
Les lecteurs ne le remarqueront pas forcément, mais ça peut appuyer votre propos, et c’est une démarche plus amusante que se dire « bon, c’est parti pour dessiner encore la même fenêtre en arrière-plan pour la 150e fois »
Par exemple sur la page de ma BD ci-dessous, les personnages escaladent une barrière démolie pour monter dans un train. Dans la première case, cette barrière formant des rayures est une manière de symboliser la prison dont ils essaient de s’évader. La plupart des lecteurs ne prendront pas le temps d’analyser ce détail, mais il peut renforcer inconsciemment la scène et rendre la composition de la page plus variée !
Astuce
N’hésitez pas à étudiez les compositions des BD et illustrations que vous aimez pour voir des exemples concrets que vous pourrez réutiliser ou qui vous serviront à avoir d’autres idées. Vous pouvez les regarder et les analyser, ou carrément redessiner les storyboard pour voir comment les cases sont composées et quelle est la place du décor. C’est très instructif !
Dans mon dernier projet de BD, j’ai décidé de réfléchir au sens de chaque scène pour voir comment le décor pouvait accentuer cette idée, et cela m’a beaucoup guidée dans mes choix, m’aidant à décider sur certains détails qui devenaient beaucoup plus évident. N’hésitez pas à utiliser cet angle d’attaque si vous êtes plein d’incertitudes, il peut vous donner des idées ou vous aider à prendre des décisions.
Conclusion
La perspective est quelque chose de compliqué qui demande du temps et des connaissances techniques. Par association, le dessin de décor peut vite sembler quelque chose de mécanique et d’ennuyeux… mais si vous arrêtez de les considérer comme une toile de fond et que vous les traitez comme des personnages, avec leur caractère, leur évolution, leur impact dans l’histoire, cela peut tout changer. Si vous donnez vie aux décors, vous aurez bien plus plaisir à les dessiner et passer du temps dessus sera moins pénible !
Rien ne vous oblige à utiliser toutes les techniques que j’ai proposées dans cet article : selon le type de décor et d’histoire, tout ne sera pas utile. L’important c’est que vous trouviez l’état d’esprit et les outils qui vous conviennent et vous permettent d’avancer !
Cet article clôt une longue série sur la perspective et le dessin de décor, j’espère qu’après avoir découvert ces techniques et conseils, vous prendrez autant plaisir que moi à imaginer et donner vie aux décors de vos projets de BD ou mangas.